Snobisme: « vanité de ceux qui affectent les opinions, les manières d’être et de sentir qui ont cours dans certains milieux tenus pour distingués » (selon le Dictionnaire de l’Académie française)
Le snobisme semble être universel et plonger ses racines dans la nuit des temps. C’est la chose du monde la mieux partagée. Voilà le premier constat de Frédéric Rouvillois dans son ouvrage remarquable sur les snobs. Le snobisme est aussi la chose la plus absurde. Qui a dit que l’homme était logique ? De même que tous les grands bourgeois au siècle de Louis XIV ont voulu ajouter une particule à leur nom, toutes les femmes branchées du XXIe siècle démocratique veulent le it bag qui les rendra supérieures aux autres, nonobstant l'égalité et la fraternité. Le drame du snob contemporain? Constater qu’un-moins-que-rien peut également aspirer à avoir ce qu’il possède, lui... Exactement, note F. Rouvillois, comme le traumatisme subi par la fashionista de la série américaine Sex & the City, lorsqu'elle voit le même sac que le sien porté par une nobody, alors qu’elle-même a dû patienter deux ans pour se payer ce sac...
Frédéric Rouvillois précise qu’il y a des périodes creuses et des périodes fastes pour le snobisme, que cela dépend des "circonstances historiques". Pour schématiser, sauf exceptions : il ne peut y avoir de snobisme dans l’Ancien Régime (ordre social établi et prédéfini), ni dans le totalitarisme communiste. Là où chacun accepte sa position sociale, le « snobisme ne peut qu’avoir une place dérisoire». On s’en doute, l’âge d’or du snobisme, c’est la démocratie. Le sentiment d’envie, permis par les régimes démocratiques selon Tocqueville, voit le snobisme pousser comme une fleur sauvage ! Certes, il y eut bien des snobismes dans le monde soviétique... Certes, le snobisme exista en France bien avant la Révolution ! Molière a très bien vu cela dans Le Bourgeois gentilhomme, dévoilant le snobisme mondain, et dans les Précieuses ridicules, fustigeant le snobisme intellectuel. Et, pour tout dire, le snobisme a véritablement fleuri au XVIIIe siècle, au siècle de notre Voltaire (inter-) national, notamment avec le phénomène de l'anglomanie.
Molière, codificateur du snobisme
Une rupture intervient au XIXe siècle avec le romancier anglais W.M. Thackeray, qui popularise les mots snob et snobisme. Il « donne ainsi à cette attitude, écrit F. Rouvillois, en même temps qu’un nom de baptême, une consistance et une ampleur inédites, qui dès lors ne se démentiront plus ». Le mot de snobisme s’impose en France à la fin du XIXe siècle, avec le sens de « fat, ridicule, vaniteux » (1867). Sens tellement péjoratif que va se développer, en parallèle, un virulent antisnobisme autour de 1900 (et l'antisnobisme est tout de même un snobisme puisqu'il prétend appartenir à une élite supérieure à celle du snob). Fin XIXe siècle, le mot de « snobisme » recouvre deux sens : le snobisme mondain d’une part, qui consiste à se rapprocher de la haute société (en usurpant un nom, par ex.), et un snobisme intellectuel d’autre part qui, lui, touche davantage à la mode, aux avant-gardes, au bon ton... Ces deux snobismes restent soudés jusqu’au milieu du XXe siècle. Certes, le lien est étroit alors entre «mode» et «mondanité», puisque c’est bien le grand monde (princesses, reines) qui lance la mode. La rupture s’opère après la Seconde Guerre mondiale. C’est le snobisme de la mode (ou snobisme 'intellectuel') qui devient dominant, même si, jusqu'à nos jours, des sites internet proposent des titres de chevalerie et de noblesse onéreux et charmants, comme, par exemple : «prince et seigneur des Ecrehous » (Ebay, 2004...Voir le site Fondation des chevaliers de Rondmons pour plus d’infos).
Il est intéressant de constater à quel point le snobisme, sous toutes ses formes, est synonyme de rejet du bon sens. Au XVIIIe et jusqu’à nos jours, le snob est cosmopolite et juge tout ce qui est français, ridicule. Il est franc-maçon au XVIIIe parce que cela transgresse les ordres du pape, de la police et de son milieu, s'il a l'heur d'être noble. Le snob est catholique à la fin du XIXe siècle parce que sans cour ni roi, le seul moyen d’entrer dans le grand monde désormais consiste à se conformer aux goûts de la noblesse, revenue de ses erreurs de jeunesse. Le snob aime la voiture, le ski et le tennis au début du XXe siècle. Il y renonce dès lors que cela devient populaire. Le snob n’a jamais aimé le foot. Le snob aime Jeff Koons (entre autres fumisteries de même acabit) parce que c'est régressif, kitsch, et que ça détruit la notion de bon goût (notion «bourgeoise»). Et surtout, surtout, en dépit du bon sens, parce que ça n'a pas de prix... Le snob aime le cinéma situationniste de Guy Debord parce que les dialogues ne veulent rien dire, et qu’il peut ainsi prétendre avoir assisté à la fin du cinéma. Le snob prétend ne JAMAIS aller voir de superproduction hollywoodienne, et, quand il ne s'y rend pas en cachette, c'est, dit-il, par un "subit accès de curiosité anthropologique". Le snob aprécie la partition avant-gardiste, "4’33" de John Cage, parce qu’il n’y eut pas une seule note jouée de toute la performance : voilà, le snob sait ce qu'est un acte révolutionnaire en art.
Pour être méchants, on pourra dire que le snob affecte d'aimer ce qu'il n'aime pas lui-même : il se fie en cela à ceux qui pensent pour lui, aux êtres supérieurs à qui il rêve de ressembler (c'est un peu comme un syndrôme de Stockholm, ou un envoûtement).
Dernière forme de snobisme, un peu particulière... le snobisme politique. On a coutume de dire que le noble ne peut guère être snob, étant donné qu’il appartient déjà à l’élite (jusqu’au XIXe en tout cas). Le seul snobisme que le noble est susceptible de connaître, c’est l’originalité. Mais entendons-nous : lorsque l’on parle de noblesse, on ne parle pas de la noblesse hidalgo, de la piétaille trop pouilleuse pour se distinguer de la masse petite-bourgeoise. Quand on parle de snobisme noble on parle de la haute noblesse, de préférence parisienne. Et quel peut bien être ce snobisme, hormis le cosmopolitisme? « Dans la haute aristocratie comme dans la grande bourgeoisie, le snobisme politique est dans la plupart des cas "de gauche"». Et cela est bien naturel, puisqu’un noble au naturel est enclin à protéger les intérêts de sa « caste », et à se placer du côté droit de l’échiquier politique : en cela, aucun snobisme, mais pure nature ("déterminisme!", dira le le communiste). Or, cela est bien connu, le snob, esthète redoutable, lutte contre la nature. Donc, cent après le généreux sacrifice de leurs privilèges la nuit du 4 août 1789, les grands aristos remettent ça en 1890-1900, la mode anarchiste étant à son comble : «c’est bon pour les petits bourgeois de s’occuper de Dieu, de patrie, de société», déclament les snobs. L’adhésion à l’extrême-gauche constitue le critère même du chic dans les lieux les plus huppés. Avant Luchino Visconti, grand aristocrate communiste, on a eu un spécimen français, certes bien moins doué. La personnalité d’Elisabeth de Gramont, duchesse de Clermont-Tonnerre (1875-1954) allait "coiffée d’un bibi de Prisunic," pour les «journées populaires», défiler aux côtés de ceux qui criaient: "les soviets partout!"».
Elisabeth de Gramont, duchesse communiste.
Cette grande dame alla jusqu’à faire le voyage en U.R.S.S. Sortant du musée de la Révolution à Léningrad, elle déclarait ne voir dans le tsar déchu qu’un monstre dégénéré, «niais et peureux». Elle écrit que «le régime tsariste et la classe privilégiée ont bien mérité ce qui leur advint». Si l’on parle de snobisme pour cette duchesse, c’est parce que ses convictions, à l’encontre de son milieu, ne l’ont jamais poussée à vivre en cohérence avec ses idées, c’est-à-dire à jeter titres, armes, fortune aux orties. Non. Tout en fustigeant les nobles massacrés, elle continuait elle-même à se comporter, à vivre en privilégiée.* Les êtres supérieurs ne connaissent pas les lois, ils ignorent la notion même de bon sens, voire de décence. Et le snobisme consiste précisément en cela, traçant une filiation avec le phénomène bobo, lequel milite en racaille gauchiste et ne jure que par Résonances, Prada et Max Havelaar. Cela est furieusement esthétique, comme un équilibriste qui marcherait sur un fil entre deux tours : sur le point de se casser la figure, il n’en continue pas moins de porter beau et rit de joie. Mais il rit jaune, car si le noble transgressait des devoirs et des valeurs qu’on lui avait transmis, le bobo n'est pas éduqué, n'a pas de valeurs et transgresse par devoir. Comme tout snob, il est conformiste.
Dernière remarque, alarmante : le Français a traditionnellement honte d'être snob, ou d'être considéré comme tel (contrairement au snob italien, par exemple). Or, de nos jours, remarque F. Rouvillois, le snobisme est érigé en idéal à atteindre, et plus personne ne craint l'anathème de snob. Pourquoi ne serait-on pas tous des snobs?... Expliquons-nous: dans une société de consommation (permettant à tous de vivre sur un train d'enfer grâce au crédit), ajoutée à l'extinction des valeurs morales (absence irréversible de toute transcendance, de hiérarchie), chacun peut prétendre être supérieur à son voisin, nonobstant les critères de "classes"ou d'argent, et jetant au feu les dernières 'aristocraties' naturelles que sont la jeunesse et la beauté (puisque la beauté désormais est dite affaire purement subjective et que la jeunesse nous dit-on, est dans la tête et le botox). C'est le paradoxe de notre société actuelle: être snob, oui, mais à quel prix? ... Snobisme de "masse" ? (mais c'est une contradiction dans les termes! - oui c'est une contradiction, mais le snobisme ne craint aucune contradiction, comme cette duchesse de Clermont-Tonnerre!). Ou snobisme qui, par définition, s'extirpe de la masse et va vers une absurdité toujours plus monstrueuse que celle de la masse? ...
6 commentaires:
J'suis snob,
Encore plus snob que tout à l'heure....
Très bien chère Néo, votre dernier billet !
C'est vrai, à Charleroi j'ai eu beaucoup de mal à trouver le livre de F. Rouvillois, mais il est excellent.
Pour moi, le snobisme, c'est d'abord du mimétisme, encore R Girard me direz vous ?
eh oui seule la contagion mimétique peut expliquer certains engouements.
Et puis ensuite il y a un ordonnancement débile des valeurs: pourquoi se forcer à faire quelque chose qu'on n'aime pas dans le fond ?
Pour susciter l'admiration des autres ! C'est un besoin de reconnaissance sociale très probablement comme vous l'avez relevé.
Alors pour moi ce sera moule frites, comme d'habitude pour diner... bien que noble je ne suis pas snob !
Léon de Bruxelles
Oui cher Léon,
je n'ai pas pensé à citer le grand philosophe . Il me souvient que Rouvillois le cite à la fin de son ouvrage, en disant "le snob recherche le néant" ou quelque chose d'approchant.
Pour répondre à votre question, "pourquoi se forcer à faire quelque chose qu'on n'aime pas dans le fond"? -> on peut effectivement parler d'une sorte d'ascèse ou de mortification bizarre, dans la mesure où l'on se met à détester ce qu'on aime, à aimer ce qu'on n'aime pas. Il y a là quelque chose de démoniaque. Bousiller sa vie, ses désirs, pour des désirs encore plus malsains que les siens...C'est du Girard tout craché là ! Lol.
Merci pour votre commentaire !
Si critiquer ce qui est français est snob, nous sommes le pays le plus snob du monde
Bien vu, CoucouK Aka...
Chère Néo,
Comme d'hab , votre article est fantastique !
Il n'est pas très facile de définir le snobisme; tout dépend de l'arrivime de la personne; car être snob pour moi c'est faire ce que l'on aime pas pour paraître chic das un milieu restreint. Un exemple parmi tant d'autres; c'est arriver à une soirée en voiture électrique tout en étant vêtu par Armani, avec les cheveux verts...
Enfin des trucs qui ne me passionnent pas vraiment...
Bisous- Votre dévouée Poussière , car chacun de nous redeviendra poussière , il ne faut pas se leurrer (lol)
Bref, un livre qui doit se trouver dans toutes les bonnes bibliothèques snob !
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