« J’ai cru remarquer que ceux qui jusqu’à présent ont mis le prêtre en action, en ont fait un scélérat fanatique, ou une espèce de philosophe. Le père Aubry n’est rien de tout cela. C’est un simple chrétien qui parle sans rougir de la croix, du sang de son divin maître, de la chair corrompue, etc. En un mot, c’est le prêtre tel qu’il est. Je sais qu’il est difficile de peindre un pareil caractère aux yeux de certaines gens, sans toucher au ridicule. Si je n’attendris pas, je ferai rire : on en jugera. »
Chateaubriand, Préface de la première édition d’Atala, 1801.
Vu Shooting Dogs récemment.
Shooting Dogs est un film sur le génocide rwandais inspiré de faits et de « personnages » réels. Ce film a pu être réalisé grâce aux survivants du massacre de l'école dans laquelle s’étaient réfugiés plus de deux mille rwandais tutsi (avant d'être massacrés). On mesure, dès le début du film, son contenu politique... Parmi les européens présents: un professeur idéaliste, un prêtre à qui il ne reste plus que l'espérance, et des membres de l'ONU chargés de « surveiller la paix entre les hutti et les tutsi ».
Je le reconnais, il est remarquable que le personnage du prêtre, pour une fois, ne soit pas nanti d'un vice caché, d'une conduite inexcusable. Il n’est pas non plus présenté comme un héros (du moins pas tout de suite), et le film s’attache surtout à montrer, tout au long de l’intrigue, les dilemmes moraux des deux personnages principaux. Rien à voir ici avec ce que l’on a l’habitude de voir, que ce soit dans les films ou dans la littérature, concernant les gens d’Eglise. Et pourquoi ce prêtre n'est-il pas présenté comme une canaille, me suis-je demandé? Mais en grande partie parce que ce film n'est pas une fiction ! La fiction moralisatrice (héritée d’une tradition déplorée par Chateaubriand en exergue) ne pourrait, de son immanquable fatuité, corriger cette vérité-ci. Nulle fiction correctement engagée ne pourrait « restaurer » la valeur d'une conduite exemplaire et encore moins la cruauté infligée à tout un peuple, laquelle cruauté est une vérité que la fiction médiatique, par exemple, nous a cachée. Les médias ont tant de pouvoir, un pouvoir si nocif, que les appels au meurtre se faisaient par radio avant et pendant les massacres au Rwanda. Ceci nous est rappelé (devrais-je dire « appris » ?). 800 000 « tutsi » furent massacrés : ils n'étaient même pas, aux yeux d'une partie de leurs compatriotes, des rwandais. Cela suffisait à les assassiner à coups de machettes. Là où est la foule il n'y a plus d'homme sans doute. Mais le prêtre a raison de nous rappeler que Dieu aime jusqu’à l'homme au coin de la rue avec sa machette. D’où ceci : ce n’est pas un film qui laisse la « haine » au fond de soi, il n’appelle pas à la vengeance, il montre le vide de l’homme sans Dieu, sans foi, et les conséquences de ce vide-là. Mais après tout , même sans Dieu, on sait bien que personne ne risque rien puisque chacun est retenu par son intérêt et que pour beaucoup d'entre nous, l'intérêt est le ciment de la société...On ne risque donc rien.