14/08/2015

Petite anthologie d’artistes défenseurs du rite tridentin. Agatha Christie, J.R.R. Tolkien, Julien Green, G. Brassens, M. Sardou





Christ Rédempteur à Rio, Brésil


« Aggiornamento » est un terme italien signifiant littéralement "mise à jour". Il fut utilisé à la fois par les évêques et les médias pendant le concile Vatican II (1962-1965) pour désigner une volonté de changement, d’ouverture et de modernité: c’est ainsi que l’on adapta la messe au monde, à la mode, abandonnant le latin pour la langue du coin, jetant les tableaux, la soutane, les chants célébrés depuis des siècles pour les sacrifier successivement au rythme yé-yé, au capital de Marx, aux chants immigrationnistes (« ouvrez la porte à l’étranger ») puis, désormais, à l'écologie, plus précisément au culte de Gaïa (voir ici)! 

Qu’est-ce qui peut bien relier Julien Green, Brassens, Sardou, Serge Lama, J.R.R. Tolkien et Agatha Christie?  Contemporains du concile Vatican II et de son « aggiornamento », ils ont été stupéfiés  par ses changements liturgiques... Ils se sont exprimés à ce sujet dans les années 1960 et 1970. 

Dans ce petit échantillon de textes d’artistes, intellectuels, écrivains, auteurs ou chanteurs issus de milieux et de religions différentes, on découvrira des choses… bien étonnantes. Leurs propos prennent diverses formes: lettre à un fils, lettre publique, livre, chanson…

Au-delà des horizons et modes d’expression variés, je connaissais ces textes depuis longtemps et me montrai intriguée par le fait que, parmi les artistes en question, les plus virulentes attaques contre la nouvelle messe de Vatican II (Nouvel ordo) provenaient majoritairement de non-catholiques (Brassens) de protestants (Agatha Christie) (1), et surtout d’anciens protestants (J. Green, J.R.R. Tolkien) alors même que le nouveau rite catholique visait à se rapprocher du rite dit réformé. Pourquoi ne pas se réjouir d’une tentative de réconciliation quand l’on vient soi-même d’un monde protestant? Il ne s’agit que d’une contradiction apparente, d’un paradoxe, qui demande explication. Paradoxe que l’on comprendra aisément en acceptant de suivre les plumes admirables proposées dans ce florilège. 

Il est impossible de réduire cette réaction horrifiée, chez les catholiques (Tolkien, Green), à la peur de l’inconnu, de la nouveauté. Beaucoup d'entre ces artistes évoquent la beauté qu'on détruit sciemment (Christie, Brassens, Lama). Les auteurs développent des arguments cohérents (Ainsi, Tolkien s'inquiète de l'aggiornamento en soi: si l'Eglise est effectivement ouverte à tous les vents de la mode, elle n'offre plus la stabilité qui faisait d'elle un "roc", un refuge contre les tempêtes). Du moins, leurs propos ne peuvent être taxés d’absurdité. 

On objectera: tant mieux si Tolkien s’évade un instant du pays des Hobbits, mais pourquoi prenez-vous la peine de citer des chanteurs et auteurs de fiction, et non des théologiens, des historiens calés sur ce sujet qui nous instruiraient vraiment ? Les écrivains professionnels ou chanteurs connaissent mieux que l’historien, l’art de retenir notre attention et, si j’ose dire, l’art de divertir pour mieux instruire.  Par leur statut d’artistes, ils savent aussi le rôle psychologique du beau (le beau est bon, le laid est mauvais (2)). Surtout, ils connaissent le pouvoir de l’image comme argument persuasif, utilisé si souvent par Jésus-Christ lui-même (cf. texte de Tolkien). De plus, en tant qu’artistes, sensibles à l'art, ils étaient bien conscients du trésor que l’Eglise s'apprêtait à troquer contre "l'estime" du Monde, dont le nom du Prince est pourtant bien connu…



Pompe funèbre pour Sa Majesté le Roy Louis XVI à la basilique de Saint-Denys le 21 janvier 1816


Si l’on craint enfin l’intention polémique d’une telle anthologie, on appréciera à défaut la valeur de ces écrits comme de simples témoignages d’une époque. Or, même réduits à de simples «témoignages », ces textes restent explosifs. 


Agatha Christie, Appel pour demander le maintien de la messe traditionnelle, 1971


La documentation catholique présente ainsi l’Appel d’Agatha Christie: 

Un appel signé de plusieurs personnalités britanniques, parmi lesquelles de nombreux non-catholiques (la romancière Agatha Christie, le violoniste Yehudi Menuhin), des évêques anglicans (d’Exeter et de Ripon), et des catholiques de renom (le romancier Graham Greene, Mr Rees-Mogg, directeur du Times de Londres), a été publié dans le Times du 6 juillet [1971]. Cet appel a été envoyé à Rome pour alerter le Saint-Siège « sur la responsabilité qu’il encourrait s’il refusait de permettre la survie de la messe traditionnelle » (la Documentation catholique de septembre 1971, n°1592, p. 798-79).

« L’un des axiomes de la publicité contemporaine, aussi bien religieuse que profane, est que l’homme moderne en général, et les intellectuels en particulier, sont désormais pleins d’intolérance pour toutes les formes de la tradition et n’aspirent qu’à les supprimer pour les remplacer par quelque chose d’autre.
Mais comme bien d’autres affirmations de nos machines à publicité, un tel axiome est faux. Aujourd’hui, tout comme dans le passé, les hommes cultivés sont à l’avant-garde chaque fois qu’il s’agit de reconnaître la valeur de la tradition, et ils sont les premiers à sonner l’alarme lorsqu’elle est menacée.
Si quelque décret déraisonnable devait ordonner la destruction complète ou partielle des basiliques ou des cathédrales, ce seraient évidemment les hommes cultivés quelles que soient leurs croyances personnelles qui se dresseraient, pleins d’horreur, pour s’opposer à une telle possibilité.
Or, c’est un fait que ces basiliques et ces cathédrales ont été bâties pour la célébration d’un rite qui, il y a quelques mois encore, représentait une tradition vivante. Nous voulons parler de la messe catholique romaine. Pourtant, si l’on en croit les dernières informations en provenance de Rome, il existe un plan destiné à supprimer cette messe dès la fin de cette année.
En ce moment, nous n’envisageons pas l’expérience religieuse et spirituelle de millions de personnes. Le rite en question, dans son magnifique texte latin, a également inspiré quantité d’œuvres d’art inestimables, non seulement des œuvres mystiques, mais aussi des œuvres de poètes, philosophes, musiciens, architectes, peintres et sculpteurs, dans tous les pays et à toute les époques. Il appartient ainsi à la culture universelle aussi bien qu’aux hommes d’Église et aux chrétiens pratiquants.
Dans la civilisation matérialiste et technocratique qui menace de plus en plus la vie de l’âme et de l’esprit dans son expression créatrice originale — la parole, — il semble particulièrement inhumain de priver l’homme de formes verbales dans l’une de ses plus grandioses manifestations.

Les signataires de cet appel, qui est entièrement œcuménique et apolitique, proviennent de toutes les branches de la culture moderne en Europe ou ailleurs. Ils désirent attirer l’attention du Saint-Siège sur l’effrayante responsabilité qu’il encourrait dans l’histoire de l’esprit humain s’il refusait de permettre la survie de la messe traditionnelle, même si ce n’était que côte à côte avec d’autres formes liturgiques ».

Messe Miraculeuse, Simone Martini 1312




Liste des signataires :

Harold Acton, Vladimir Ashkenazy, John Bayler, Lennox Berkeley, Maurice Bowra, Agatha Christie, Kenneth Clark, Nevill Coghill, Cyril Connolly, Colin Davis, Hugh Delargy, Robert Exeter, Miles Fitzalen-Howard, Constantine Fitzgibbon, William Glock, Magdalen Gofflin, Robert Graves, Graham Greene, Ian Greenless, Joseph Grimond, Harman Grisewood, Colin Hardie, Rupert Hart-Davis, Barbara Hepworth, Auberon Herbert, John Jolliffe, David Jones, Osbert Lancaster, F.R. Leavis, Cecil Day Lewis, Compton Mackenzie, George Malcolm, Max Mallowan, Alfred Marnau, Yehudi Menuhin, Nancy Mitford, Raymond Mortimer, Malcolm Muggeridge, Iris Murdoch, John Murray, Sean O’Faolain, E.J. Oliver, Oxford and Asquith, William Plomer, Kathleen Raine, William Rees-Mogg, Ralph Richardson, John Ripon, Charles Russell, Rivers Scott, Joan Sutherland, Philip Toynbee, Martin Turnell, Bernard Wall, Patrick Wall,E.I. Watkin,  R.C. Zaehner

(Traduction la Documentation Catholique)


Julien Green, Ce qu’il faut d’amour à l’homme

Julien Green, célèbre écrivain du XXe siècle, s’était converti, avec sa soeur, à la religion catholique (élevé dans le protestantisme). Il sera un fidèle soutien de Mgr Lefebvre. Il relate ici un événement survenu quelque temps après la réforme liturgique (changement de la messe tridentine en nouvelle messe). Il est choqué de voir, à la télévision, une émission du type "Jour du Seigneur" qui ne montre pas une messe catholique, mais un office protestant!

« Un jour que j’étais à la campagne avec ma sœur Anne, nous assistâmes à la messe télévisée, le curé du village étant absent ce dimanche-là. Je me souviens que tournant les pages de mon missel français, j’essayais de reconnaître sur l’écran quelque chose qui ressemblât à une messe. En vain. Ce que je reconnus, comme Anne de son côté, était une imitation assez grossière du service anglican qui nous était familier dans notre enfance. Le vieux protestant qui sommeille en moi dans sa foi catholique se réveilla tout à coup devant l’évidente et absurde imposture que nous offrait l’écran, et cette étrange cérémonie ayant pris fin, je demandai simplement à ma sœur : « Pourquoi nous sommes-nous convertis ? »


Julien Green, Ce qu'il faut d'amour à l'homme, Plon, 1978, p.137-138


Georges Brassens, 
« Tempête dans un bénitier », 1976


Georges Brassens, célèbre chanteur du XXe siècle, était anarchiste et ne risquait donc pas de mettre les pieds dans une église. On ne le soupçonnera pas d’être « intégriste » en prenant le parti de ceux-ci contre les « fichus calotins » qui suppriment la messe en latin. La chanson en question s’appelle « Tempête dans un bénitier », et figure dans l’album Don Juan (1976). Il évoque, avec une ironie mordante et un langage cru, le changement de rite de la messe et ses conséquences. Ce qui nous intéresse dans ce texte n’est pas la foi (il ne l’avait pas) ni la grossièreté, mais le point de vue de quelqu’un qui, tel Agatha Christie, ne prêche guère pour sa paroisse et constate la désertion effective de l’Eglise et surtout l’abomination esthétique que représente, à ses yeux, cette nouvelle messe. 


« Le souverain pontife avecque
Les évêques, les archevêques
Nous font un satané chantier

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde

À la fête liturgique
Plus de grandes pompes, soudain
Sans le latin, sans le latin
Plus de mystère magique
Le rite qui nous envoûte
S'avère alors anodin
Sans le latin, sans le latin
Et les fidèles s'en foutent

Ô très sainte Marie mère de
Dieu, dites à ces putains
De moines qu'ils nous emmerdent
Sans le latin

Je ne suis pas le seul, morbleu
Depuis que ces règles sévissent
À ne plus me rendre à l'office
Dominical que quand il pleut

Il ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde

En renonçant à l'occulte
Faudra qu'ils fassent tintin
Sans le latin, sans le latin
Pour le denier du culte

À la saison printanière
Suisse, bedeau, sacristain
Sans le latin, sans le latin
F'ront l'église buissonnière
(…)

Ces oiseaux sont des enragés
Ces corbeaux qui scient, rognent, tranchent
La saine et bonne vieille branche
De la croix où ils sont perchés

Ils ne savent pas ce qu'ils perdent
Tous ces fichus calotins
Sans le latin, sans le latin
La messe nous emmerde

Le vin du sacré calice
Se change en eau de boudin
Sans le latin, sans le latin
Et ses vertus faiblissent

À Lourdes, Sète ou bien Parme
Comme à Quimper Corentin
Le presbytère sans le latin
A perdu de son charme

(…)

On rapprochera cette chanson de quelques vers de Michel Sardou, tirés de la chanson « Dixit Virgile ». Le chanteur évoque dans ses couplets l’enseignement du latin devenu inutile depuis un certain événement:

"C'est pas la peine 
D'avoir appris le latin 
Si ça ne sert plus à rien 
Même pas à la messe "

Pour une critique autrement plus virulente de l'aggiornamento débridé (mais non directement lié au rite liturgique), on écoutera un Serge Lama révolté dans « Je vous salue Marie»: il y chante que  «le capital de Marx » est pour les prêtres modernes devenu le «nouveau Missel ».

J.R.R. Tolkien, Lettre à son fils, 1967 

John Ronald Reuel Tolkien (né en 1892), écrivain, poète, philologue et professeur d’université anglais (Oxford) à la renommée internationale, est surtout resté célèbre pour ses romans Le Hobbit  (1937) et Le Seigneur des Anneaux (1954-1955). 
Il est de moindre notoriété que ce même J.R.R. Tolkien était très catholique. Le royalisme décelable dans le Seigneur des Anneaux découle directement de sa religion.


Au contraire des chanteurs précédemment cités, l’attachement de J.R.R. Tolkien à la messe tridentine ne peut guère s’expliquer par un amour du latin et de sa beauté seuls, puisque Tolkien n’aimait guère la culture latine, lui préférant les langues nordiques (il alla même jusqu’à en inventer une!). Cet attachement à l’ancienne messe est aussi attachement à l’Histoire de l’Eglise et à la conviction profonde de J.R.R. Tolkien. Dubitatif devant la nécessité de Vatican II, il affirmait que « la plus grande réforme de notre temps est celle qui a été menée par saint Pie X », à savoir l’accès à la communion tous les jours (avec confession fréquente). Cette réforme de saint Pie X, pour lui, était allée « plus loin que tout ce que le Concile (Vatican II) réalisera », affirme-t-il en 1963 à son fils Michael Tolkien (J.R.R. Tolkien, Lettres, Christian Bourgeois Editeur, Pocket, p.643).
Un peu plus tard, son petit-fils se souvient d’avoir assisté à la nouvelle messe avec lui et d’avoir été très mal à l’aise, parce que J.R.R. Tolkien répondait  en latin tonitruant à toutes les paroles du prêtre dites en anglais. Choqué par cette nouvelle messe, Tolkien avait quitté l’office pour n'y plus revenir.
Mais réduire le rejet de la nouvelle messe à une raison générationnelle serait trop simple. Tolkien explique longuement, dans une lettre à son fils Michael, en quoi « l’aggiornamento » (adaptation de l’Eglise à son temps) était un danger mortel pour l’Eglise, qu’il compare ici à un arbre, en 1967. Pour lui, vouloir remonter à l’origine de l’Eglise (et retrouver une « simplicité originelle) est risqué car cela consiste à supprimer toute la croissance -sacrée- de l’arbre.

« Les ‘tendances’ de l’Eglise sont (…) une chose sérieuse, surtout pour ceux qui ont coutume de trouver en elle consolation et « pax » en des temps de troubles temporels, et non simplement une autre arène de luttes et de transformations. Mais imagine ce qu’ont connu ceux qui sont nés (comme moi) entre le Jubilé d’Or et le Jubilé de Diamant de Victoria. L’impression ou l’illusion de sécurité nous a progressivement été enlevée. Nous nous retrouvons maintenant tout nus face à la volonté de Dieu, qui nous concerne nous et notre position dans le Temps (…). 

Je sais pertinemment que, pour toi comme pour moi, l’Eglise que nous voyions autrefois comme un refuge, aujourd’hui nous la voyons souvent comme un piège. Il n’y a nulle part ailleurs où aller! (Je me demande si ce sentiment désespéré, la dernière forme de loyauté qui demeure, les suivants de Notre-Seigneur ne le ressentaient pas de son vivant sur Terre, bien plus même que les Evangiles ne le rapportent réellement). 

Je crois qu’il n’y a rien d’autre à faire que de prier, pour l’Eglise, pour le Vicaire du Christ et pour nous-mêmes; et en attendant, de pratiquer la vertu de loyauté, qui ne devient réellement une vertu lorsque l’on est sur le point d’y renoncer. Il y a bien sûr divers éléments dans la présente situation, qui sont confondus, bien qu’en réalité distincts (…). 

La recherche « protestante » de la « simplicité » et de l’immédiateté dans le passé - bien qu’elle contienne évidemment du bon, ou que l’on comprenne du moins ses motivations - est erronée, voire vaine. Parce que le « christianisme primitif » est aujourd’hui, et le demeurera malgré toutes les « recherches », très largement un mystère; et parce que le caractère « primitif » n’est pas une garantie de valeur, et qu’il est, qu’il était, en grande partie un reflet de l’ignorance. De graves abus caractérisaient tout autant la forme « liturgique » du christianisme des origines que celui d’aujourd’hui (les réserves de saint Paul sur l’Eucharistie le montrent suffisamment!). 

Plus encore parce que « (son) Eglise » n’était pas destinée par Notre Seigneur à demeurer statique ou dans une enfance perpétuelle; mais à être un organisme vivant (comparable à une plante) qui se développe et change extérieurement par l’interaction de la vie et de l’Histoire - les circonstances particulières du monde qui l’accueille - divines qui sont son lot. Il n’y a aucune ressemblance entre la « graine de sénevé » et l’arbre une fois qu’il a poussé. Pour ceux qui vivent lorsque ses branches poussent, l’Arbre est la chose qui compte, car l’Histoire d’une chose vivante fait partie de sa vie, et l’Histoire d’une chose divine est sacrée. Les sages savent peut-être qu’une graine se trouve à son origine, mais il est vain d’essayer de la déterrer car elle n’existe plus, et les vertus et pouvoirs qu’elle avait se trouvent désormais dans l’arbre. Très bien; mais en bons cultivateurs, les autorités, les gardiens de l’Arbre, doivent veiller sur lui, en fonction de la sagesse qui est la leur, l’émonder, enlever les chancres, le débarrasser des parasites, etc. (avec inquiétude, conscients qu’ils sont de savoir si peu sur sa croissance!). Mais ils lui feront certainement du mal s’ils sont obnubilés par le désir de revenir à la graine ou même à la prime jeunesse de la plante, lorsqu’elle était (comme ils l’imaginent) jolie et protégée des maux. L’autre motivation (aujourd’hui confondue avec le primitivisme, même dans l’esprit de tous les réformateurs): l’aggiornamento, le fait de s’adapter au monde actuel, comporte ses propres graves dangers, comme cela est apparu tout au long de l’Histoire. « L’oecuménicité » s’est également confondue avec cela. »

J.R.R. Tolkien, Lettres, Edition et sélection de Humphrey Carpenter avec l’assistance de Christopher Tolkien, traduit de l’anglais par D. Martin et V. Ferré, Christian Bourgois Editeur, Pocket, 1981, 2005 (pour la traduction française), p.749-751.

Si mes amis lecteurs avaient connaissance de certains textes /entretiens d'(autres) artistes à ce sujet, je leur saurais infiniment gré d'apporter leur pierre à l'édifice, sous forme de commentaires !


Notes 

(1)  Cela rappelle sensiblement le portrait élogieux que dresse la protestante Mme de Staël d’un office des ténèbres dans une chapelle catholique (voir ici) et un passage de l’anticatholique, anticlérical, franc-maçon et jacobin Stendhal. Celui-ci, dans Le Rouge et le Noir, relate ainsi une grande cérémonie de relique. C’est en « politique » qu’il observe la puissance d’une messe catholique d'autrefois (donc, en latin): « Il y eut un Te Deum, des flots d'encens, des décharges infinies de mousqueterie et d'artillerie ; les paysans étaient ivres de bonheur et de piété. Une telle journée défait l'ouvrage de cent numéros des journaux jacobins. » Que dirait-il des effets d'une messe actuelle, en français?

(2) Le beau est bon: c’est une croyance ancrée dans le monde médiéval, où les Madones sont belles et les démons affreux. En psychologie sociale, il a été démontré que l’être humain associe systématiquement le beau au bien, et le laid au mal. Idée de lier le fond et la forme. Or, à notre époque, on exhorte les gens, à juste titre certes, à ne pas se laisser abuser par la beauté de la forme (la politesse par ex.) et à privilégier le fond (la sincérité) : aussi vaut-il mieux se montrer méchant et grossier avec les gens qu’on n’apprécie pas plutôt que de leur laisser croire qu’on les apprécie (c’est l’idée révolutionnaire et très moderne de Jean-Jacques Rousseau qui voyait dans l’Alceste du Misanthrope un modèle pour notre temps, alors que Molière l’avait créé pour montrer les dangers consistant à se laisser aller à son humeur noire!). Mais le vrai danger à séparer le fond de la forme comme l’entend notre époque moderne, nous fait encourir le risque de ne plus comprendre la psychologie humaine. Penser que l’homme est capable d’apprécier le fait brut, la donnée brute (le fond), sans la forme (le beau), c’est aussi le pari qu’ont osé les réformateurs de l’Eglise, en pensant que le paroissien n’avait plus besoin d’être porté par la beauté du rite pour adorer Dieu et qu'il pouvait accéder directement, « en pleine conscience », à l’essence du mystère du Sacrifice… 

02/08/2014

"Les Horreurs de la démocratie", de Nicolas Gomez Davila


Amis lecteurs,



Après une pause, le blog digressif renaît de ses cendres... 
 Il se joint à moi pour vous souhaiter la bienvenue sur ses pages, et vous promet d'être de nouveau actif !
Pour égayer vos lectures estivales, je ne vois rien de mieux que de vous entretenir d'un auteur merveilleux.




Bogota (Colombie), ville de naissance de Gomez Davila. 

Il est difficile de présenter le Colombien Nicolas Gomez Davila (1913-1994), sans préciser que cet homme n’était pas un écrivain de profession, mais un grand bourgeois qui, du fait d’une légère infirmité, resta cloîtré en sa demeure sa vie durant, se passionna pour la littérature française et les cathédrales, et lut tout ce que contenait son immense bibliothèque. Catholique fervent, il est l’héritier d’un La Rochefoucauld pour la forme, de Pascal pour la profondeur de la pensée, de Rousseau pour le goût du paradoxe, et de Nietzsche, pour sa fascination des « forts ».

Nicolas Gomez Davila


Contempteur du progressisme sous toutes ses formes (politique, religieuse, littéraire), il enchante notre esprit par des phrases brèves et concises, suivant en cela le précepte de Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Cette brièveté, souvent déconcertante, Gomez Davila s’en justifie ainsi: « L’écrivain bien élevé s’efforce d’être clair. Mais (...) expliquer plutôt que suggérer suppose un certain mépris du lecteur ».



Gomez Davila nous fait donc l’honneur de nous croire intelligents et nous entraîne, pour peu que l’on veuille bien le suivre, dans ses réflexions fulgurantes.


Pour vouloir le suivre, comprenons bien l'un des postulats de sa pensée  : « Être réactionnaire, c'est comprendre que l'homme est un problème sans solution humaine ». Par « solution humaine » il pense à la Révolution française, aux droits de l'homme, au socialisme et à l’humanitarisme de Vatican II. Si la « solution » n'est pas humaine, elle est donc divine- le paradis terrestre n'existe évidemment plus, il n'existera dans aucune utopie ni aucun socialisme. On reconnaît  là une pensée authentiquement catholique, reléguant le paradis à une existence future (après la mort) et cantonnant la vie terrestre à l'acceptation de la souffrance. Au débarras le Progrès donc. En attendant, la solution en sursis du paradis consiste en un catholicisme enraciné, dans lequel le triangle bourg, château, monastère, ne serait pas seulement une "miniature médiévale", mais « un paradigme éternel ».



Pour sa publicité, la quatrième de couverture des Horreurs de la démocratie, l’éditeur n’a rien trouvé de mieux à écrire que: 



« Gabriel Garcia Marquez (1) aurait avoué en privé : « Si je n’étais pas communiste, je penserais en tout et pour tout comme lui ».







La puissance de Gomez Davila, comme tout véritable écrivain « moderne », réside dans la condamnation tout entière de la « modernité » et de ses monstres. Sa vision du monde est un peu celle d’un moine médiéval, transplanté dans un espace-temps hostile, tel Ignatius Reilly, anti-héros de la formidable Conjuration des imbéciles –le ridicule en moins, bien entendu.

  


Je vous laisse donc découvrir cet écrivain par quelques extraits choisis, tirés des « Horreurs de la démocratie », dont le titre à lui seul est tout un programme. 







Notre ultime espérance repose en l’injustice de Dieu.


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Le psychologue hante les bas quartiers de l’âme, comme le sociologue les banlieues de la société.


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Ceux qui excusent leur abjection en se prétendant « victimes des circonstances » sont des socialistes doctrinaires.

Le socialisme est la philosophie de la culpabilité des autres.


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Se refuser à admirer, c’est le signe de la bête.


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La religion n’est pas née d’un besoin urgent d’assurer la solidarité sociale, pas plus que les cathédrales n’ont été construites dans le dessein de favoriser le tourisme.





 la cathédrale de Milan


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Une lutte contre l’injustice qui ne débouche pas sur la sainteté débouche sur des convulsions sanglantes.



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La littérature française classique prouve que l’homme n’a pas besoin de s’aveugler pour être grand.



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Éduquer l’homme, c'est empêcher la « libre expression de sa personnalité ».


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L’homme ne crée pas ses dieux à son image et à sa ressemblance, mais il se conçoit à l’image et à la ressemblance des dieux en lesquels il croit.



Murillo, Saint François


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L’historien démocratique enseigne que le démocrate ne tue que parce que ses victimes l’obligent à les tuer.




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Tout individu susceptible de déplaire à l’intellectuel de gauche mérite la mort.

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Le communisme hait le capitalisme par complexe d’Œdipe.

Le réactionnaire, lui, ne fait que le considérer d’un œil xénophobe.



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A Barad-Dur, l'oeil de Sauron (Tolkien, Le Seigneur des Anneaux, adapté par P. Jackson)





Le mal, comme l’œil, ne se voit pas lui-même.

Qu’il tremble, celui qui se voit innocent.




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La foi, c’est ce qui nous permet de nous égarer dans n’importe quelle idée, sans perdre de vue le chemin du retour.



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L’orgueil nous suffit pour pardonner à qui nous injurie, mais la charité elle-même n’est pas suffisante pour que nous pardonnions à qui injurie ceux que nous aimons.


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Quand les convoitises individuelles se rassemblent, nous avons pris l’habitude de les appeler nobles aspirations populaires.




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Un lexique de dix mots suffit au marxiste pour expliquer l’histoire.



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Le gauchiste hurle à la mort de la liberté quand ses victimes refusent de financer leur propre assassinat.



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Pour juger notre époque, il suffit de se rappeler que ses moralistes sont les sociologues.



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Le dialogue entre communistes et catholiques est devenu possible depuis que les communistes falsifient Marx et les catholiques le Christ.



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L’homme ne possède pas son intelligence : son intelligence est en visite chez lui.


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La vénération de l’humanité est répugnante, comme tout culte de soi-même.


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Beaucoup n’aiment l’homme que pour oublier Dieu la conscience tranquille.

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Les opinions stupides cessent de nous irriter si nous les prenons comme des documents sur la personne qui les exprime.



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Le chrétien moderne ne demande pas à Dieu de lui pardonner, mais d’admettre que le péché n’existe pas.


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Le christianisme scandaliserait le chrétien, s’il cessait de scandaliser le monde.


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Il est facile de sympathiser avec n’importe quel homme, tant qu’il n’émet pas d’opinion.



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Le peuple n’envahit que des palais déjà désertés.

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« Avoir le courage de s’accepter » est l’une des nombreuses formules modernes qui tâchent à occulter la bassesse de l’homme en appelant difficile ce qui est facile.

L’esprit moderne affirme que rien ne demande plus d’efforts à l’homme que de céder à son animalité.



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Les prises de position révolutionnaires de la jeunesse moderne sont des preuves irréfutables de ses aptitudes à la carrière administrative.

Les révolutions sont de parfaites couveuses à bureaucrates.



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Celui qui écrit raison avec une majuscule s’apprête à nous duper.


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Ce que l’écrivain invente tout d’abord, c’est le personnage qui va écrire ses œuvres.



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Seul le sociologue qui n’a pas de message à délivrer ne dit pas toujours que des bêtises. 

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Si grande est la distance entre Dieu et l’intelligence humaine que seule une théologie pour enfant n’est pas infantile.



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La féodalité a été fondée sur des sentiments nobles : loyauté, protection, service.

Les autres systèmes politiques se fondent sur des sentiments méprisables : égoïsme, convoitise, jalousie, lâcheté.


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La charité, pour un égalitariste, est un vice féodal.


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Le christianisme n’a pas inventé la notion de péché, mais celle de pardon.



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Le catholique progressiste va ramasser sa théologie dans la poubelle de la théologie protestante.




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Les concessions sont les marches de l’échafaud.




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Cette libération de l’humanité qu’a tant chantée le XIXe siècle s’est finalement résumée au tourisme international.

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Le Progrès se réduit finalement à voler à l’homme ce qui l’ennoblit, pour pouvoir lui vendre au rabais ce qui l’avilit.


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On appelle communiste celui qui lutte pour que l’État lui assure une existence bourgeoise. 

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Nous appelons ère libérale les quatre siècles que prit la liquidation des libertés médiévales.


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(1) Gabriel Garcia Marquez est un écrivain réputé pour ses opinions marquées à gauche, auteur notamment du roman L'Amour au temps du choléra.