29/08/2008

Toutes les religions se valent-elles ? ... Gnose sous roche !


Les théosophes construisent un panthéon; mais c'est un panthéon pour panthéistes. Ils convoquent un Parlement des Religions en une assemblée de tous les peuples et ils ne réussissent qu'un rassemblement de tous les cuistres. Il y a deux mille ans, on avait déjà entrepris sur les rivages de la Méditerranée, l'édification d'un tel panthéon. Les chrétiens étaient cordialement invités à y faire entrer une statue de Jésus qui aurait cotoyé celle de Jupiter, de Mithra, d'Osiris, d'Attis ou d'Ammon. Le refus des chrétiens est le pivot de l'histoire. Si les chrétiens avaient accepté, ils auraient été bons et le monde avec eux, j'ose le dire, pour la refonte. L'image est triviale mais exacte, de ce formidable bouillon, où déjà recuisent tous les mythes, et tous les mystères, dans une immense marmite, au feu d'une corruption universelle."

Gilbert Keith Chesterton, l'Homme éternel, Ed. DMM


Dans une interview du Point parue en janvier 2007, M. Malek Chebel expose sa vision des religions. Il affirme positivement avoir « fait le choix » de la religion musulmane parce que celle-ci est une religion d’homme, virile , tandis que la religion chrétienne est une religion de femme, compassionnelle et émotive :

"La force de Jésus, mais c'est aussi son talon d'Achille, est d'avoir promu une religion de bonté, de miséricorde, mais aussi de souffrance. On te frappe la joue, tu tends l'autre. C'est une religion compassionnelle. En Orient, ce sont des vertus féminines. Que propose Mahomet ? Un renforcement du patriarcat (...). Les valeurs fortes comme la richesse, la force, la guerre ne sont pas remises en question. Religion masculine par définition."(1)

Quelle est donc l’utilité de ce discours ? est-ce de convertir à l'Islam ? Si tel est le cas, on imagine sans doute que le choix ne serait pas difficile à faire pour un homme lassé de la "féminisation" de la société : suivant l'avis de frère Chebel, il se fera viril pour de bon, c'est-à-dire musulman... (2)

Mais ce n’est pas si simple. Il ne me semble pas que la fonction de Malek Chabel soit celle d’un apôtre de la religion musulmane; je dirais plutôt qu’elle consiste à se faire réconciliateur universel -ce qui est bien pire.

rencontre interreligieuse à Assise


Rappelons que M. Malek Chebel est un humaniste (gloire lui soit rendue) : il va jusqu’à affirmer que la religion musulmane est prête pour un Vatican II, puisqu'elle a connu son siècle des Lumières au Moyen-Age : c'est une religion adaptée et adaptable aux temps modernes de l'Occident, et donc évidemment adaptée aux femmes de notre temps... Mais notez bien que ce point de vue-ci heurte de plein fouet son choix de l'"Islam-religion-d'hommes" ! A moins qu'il ne s'improvise en Jean Ferrat du XXIe siècle et pousse la chansonnette : l'homme est l'avenir de la femme? (il précise effectivement que l'islam est une religion d'avenir). Dépassons la contradiction et demandons-nous plutôt quelle est cette obsession médiatique, intellectuelle et fashionable qui consiste à faire faire s'équivaloir les religions (par exemple: parler de Vatican II pour l'Islam), à vouloir rendre les religions, en un mot, interchangeables? Ceci, entendons-nous, plonge ses racines profondes dans la gnose (et de ses suites tout aussi prétentieuses: théosophie, kabbale).

La "connaissance secrète", c'est l’autre nom de la gnose, qui aime aussi se désigner, plus modestement, sous l'appellation de "connaissance divine". La philosophie gnostique enseigne que les religions doivent se mêler les unes aux autres, afin de se fondre en une religion dont on ne sait quel est le dieu, hormis le fait que ce soit un "dieu de lumière", et dont l'ennemi est, naturellement, l'obscurantisme. La gnose enseigne encore que le Bien et le Mal sont incarnés par des dieux d'égale puissance et d'égale légitimité. Tout ce qui, dans la tradition judéo-chrétienne est irréconciliable (Bien et Mal, Dieu vs. Satan), devient, avec la gnose, conciliable et complémentaire. En effet, selon cet esprit Dieu et Satan ne sont pas des ennemis, ils sont un tandem réalisant l’harmonie des contraires (yin-yang). De ce point de vue, la religion révélée est à exclure; elle est mensongère, masquant la nature du Bien et du Mal: c'est pourquoi il faut lui faire perdre ses repères, ses certitudes et jusqu'à ses croyances. La gnose est une vision du monde issue de la Cabale et jugée, depuis des temps immémoriaux, comme hérétique par l’Eglise. Le gnosticisme a donné naissance au mouvement cathare mais aussi au New Age; un sataniste de l'acabit d'Aleister Crowley se disait gnostique.

Il faut considérer les paroles de l’interviewé Chebel sous cet angle. Que veut-il nous dire? Eh bien, voici son raisonnement : la religion musulmane et la religion chrétienne ne sont pas étrangères l’une à l’autre, que nenni ! pourquoi exclure une religion sous prétexte qu’elle est représentative d’un sexe autre que le nôtre (Islam=> hommes; Christianisme=> femmes) ? N'empêchons pas un homme d'être chrétien, ni une femme d'être musulmane... N'empêchons pas les hommes et les femmes de s'aimer, etc. L’humanité est constituée des deux sexes, c’est un fait incontestable jusqu'à nos jours: ainsi les humanistes que nous sommes voudront voir fusionner les deux sexes, et partant, les deux religions... Mais, il y a un hic : faire s'équivaloir toutes les religions, c'est vouloir, ni plus ni moins, détruire les religions en les réduisant à un genre (masc. ou fém.), c'est-à-dire, à un besoin purement humain. La gnose ne dit pas seulement que les dieux se valent ; elle prêche encore que Bien et Mal se valent. Raisonnement limpide: si Bien et Mal se valent, alors toutes les religions se valent. Si toutes les religions se valent, alors Bien et le Mal sont relatifs. Car quelle est la raison d'être d'une religion, si elle vaut toutes les autres?

Réponse: si une religion vaut bien toutes les autres, elle n'a pas de raison d'être (raisonnement emprunté à Vladimir Volkoff).

Or ce type d’argument est excellent ; qui peut y résister? on mêle tout, on « mixe », on détruit tout. Empoisonné par un tel discours (tout se vaut), un chrétien a-t-il la moindre chance de rester chrétien? Des chiffres répondent à cette question: un sondage paru dans le Monde des religions en octobre 2006 (sondage CSA Le Monde- La vie), indique que 34% des catholiques pratiquants réguliers croient « tout à fait » que Mahomet est un prophète (alors que, chez les catholiques non pratiquants, seulement 21% y croient "tout à fait". Les catholiques qui n'entendent pas de discours lénifiants sont donc plus catholiques que les autres. Un comble). 7% des catholiques estiment que leur religion est la seule vraie, et en Valais, 81,3% des catholiques estimaient déjà, en 1990, que toutes les religions mènent au salut éternel (sondage réalisé par l’institut Link, sept.90). Bientôt les catholiques pratiqueront l'ouverture à l'autre au point de se faire dé-baptiser par milliers (c'est déjà le cas grâce aux soins de la secte raëlienne).

La perversité de ce genre de discours (tout se vaut) se repère dans l’indifférenciation opérée entre les religions, indifférenciation prônée souvent par les responsables de ces religions elles-mêmes. L'interviewé susnommé et autres adeptes des dialogues inter-religieux, ne sont pas sans évoquer ces prophètes du bonheur si bien croqués par C.S. Lewis dans le Monde de Narnia (il s'agit d'une fiction) :

A l'aube de l'Apocalypse de Narnia, un méchant singe, Shift, s'est servi d'un âne, l'a revêtu d'une peau de lion, afin de le faire passer pour le Dieu-Roi Aslan. Shift prononce tous les mots du discours du faux Aslan, et annonce aux Narniens un nouvel évangile... Son artifice ayant échoué, il annonce ensuite aux habitants de Narnia que tous les dieux se valent. On sait que, selon l'aveu de son auteur anglican, C.S. Lewis, Aslan représente Jésus. Le dieu auquel on rend des sacrifices humains, et qui inspire une religion cruelle et idolâtrique, c'est le dieu Tash. Les Calormènes sont les adeptes de Tash; les Narniens, quant à eux, ont jusqu'ici toujours eu foi et espoir en Aslan. Voici l'extrait (issu du volume "La dernière bataille"), à lire dans la continuité de ce qui est écrit ci-dessus, notamment sur le caractère voulu interchangeable des religions :

Aslan, ou Jésus pour les enfants


« S’il vous plaît, s’il vous plaît, dit la voix haut perchée d’un agneau laineux, si jeune que tout le monde fut surpris qu’il ose seulement parler.

- Qu’est-ce qu’il y a encore ?dit le singe. Sois bref.

- S’il vous plaît, dit l’agneau, je ne comprends pas. Qu’avons-nous à faire avec les Calormènes ? Nous appartenons à Aslan. Ils appartiennent à Tash. Ils ont un dieu qui s’appelle Tash. Ils disent qu’il a quatre bras et une tête de vautour. Ils sacrifient des hommes sur ses autels. Je ne crois pas qu’il existe un Tash quelconque. Mais, s’il y en avait un, comment Aslan pourrait-il être ami avec lui ?

Tous les animaux penchèrent la tête sur le côté et dardèrent leurs yeux brillants sur le singe. Ils savaient que c’était la meilleure question que l’on ait posée jusque là.

Shift bondit sur ses pieds et cracha en direction de l’agneau.

- Bébé ! siffla-t-il. Stupide petit bêleur ! Retourne chez ta mère boire ton lait. Qu’est-ce que tu comprends à ce genre de choses ? Mais vous autres, écoutez. Tash n’est qu’un autre nom pour Aslan. Toute cette idée ancienne selon laquelle nous aurions raison et les Calormènes tort, c’est stupide. On en sait plus long, maintenant. Les Calormènes utilisent des mots différents, mais nous voulons tous dire la même chose. Tash et Aslan ne sont que deux noms différents pour Vous-savez-qui. C’est pourquoi il ne peut plus y avoir aucune querelle entre eux. Mettez-vous bien ça dans la tête, espèces de brutes stupides. Tash, c’est Aslan et Aslan, c’est Tash. »

Quiconque a lu Narnia sait qu'Aslan n'a rien d'une Tash. ...


Enfin, citons, pour conclure sur cette délicate matière, une phrase de G.K. Chesterton, déjà cité en tête de cet article : "There are those who hate Christianity and call their hatred an all-embracing love for all religions" ("Il y a ceux qui haissent la Chrétienté et donnent à leur haine le nom d'un immense amour pour toutes les religions").

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Notes:

(1) l'interview de Malek Chebel en intégralité ici:

www.lepoint.fr/actualites-societe/l-avenir-est-a-l-islam/920/0/22017

(2) Malek Chebel n'est pas un cas isolé. D'autres intellectuels pensent comme lui. Témoin Alain Soral. Dans Jusqu'où va-t-on descendre?, son "abécédaire de la bêtise ambiante", Soral explique la recrudescence de l'Islam et la séduction qu’il incarne par l'espoir de changement qu'il porte : "Une religion virile et simple, égalitaire (pas de caste, pas de clergé), d'abord soucieuse des pauvres qui ont la haine (...) bref, un dieu pour tous ceux qui ne peuvent accepter le dieu blanc hypocrite et menteur de la bourgeoisie wasp, et dans une moindre mesure, le dieu fatigué des cathos français". Cette analyse est intéressante parce qu'elle montre que dans notre société actuelle, on ne croit plus en Dieu parce qu'on juge qu'il est le bon, et encore moins par tradition... Au contraire, l'homme moderne est supposé aller le chercher à la foire aux déités, dans la «marmite bouillante des mythes», comme dit Chesterton. Ainsi, un dieu correspond à un "besoin", un "ras-le-bol". N'est-ce pas amusant ? le modernisme consiste aussi à affirmer que la foi est un sentiment naturel, enfoui dans le "subconscient" de l'homme; c'est donc un sentiment, extérieur à la révélation divine (il n'est plus besoin de révélation, de "religion révélée"). Mieux encore, on choisit un dieu comme on choisit une thérapie ou une séance de musculation. Quant au dieu des cathos selon Soral, il est "fatigué"... là encore, qu’est-ce que cela signifie? Fatigué, parce qu'ayant cédé le pas au Moderne? ou bien fatigué, parce qu’écrasé, persécuté par le Moderne ? La question qu’il s’agit de poser, c’est plutôt celle-ci : quelle est la religion le plus susceptible de résister au courant, au "Moderne" (le moderne se démode toujours, et la religion moderne avec) ?

Personnellement, une religion que l'on me présente comme un nouveau marxisme (pour "les pauvres qui ont la haine"), une revanche sur les femmes ("religion virile") ou encore une amulette antiraciste ("contre le dieu hypocrite des blancs wasp"), je dis : non, merci ! parce qu'elle est bien trop moderne, la façon dont on me la présente.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

merci Néo; cet article est très intéressant, comme d'habitude. J'apprécie surtout le passage de Narnia, qui me donne envie de lire le livre (après avoir admiré les films).

Anonyme a dit…

Chère Néodyme,

Merci de nous faire partager votre savoir .
Vous semblez avoir raison sur beaucoup de points dont le dialogue inter-religieux qui rejoint la pensée du sieur chebel.
Tout cela me donne la chair de poule . Que me conseillez-vous de lire pour en savoir un peu plus sur le sujet de la gnose? je ne connais pas grand chose sur la question.
sinon j'ai vu le film Narnia et j'ai beaucoup aimé.

Anonyme a dit…

Quel article cher Néo !

Une fois encore vous nous étonnez par votre érudition. De l’histoire à la littérature en passant par la politique ou le cinéma vous nous éclairez cette fois sur la religion…. Les statistiques que vous nous livrez font froid dans le dos… mais peut être que votre article réussira à faire changer d’avis quelques personnes… Quoi qu’il en soit, votre passage sur le monde de Narnia est très bien choisi et éclaire parfaitement vos propos.
En attendant de vous lire à nouveau recevez toutes mes félicitations !!

Neodyme a dit…

Anonyme, poussiere d'étoile et bébé juriste, merci beaucoup pour vos commentaires.
@ Bébé juriste: Narnia fut en effet d'une grande aide pour illustrer mes propos. Mais Narnia ne mérite pas nos éloges pour cette seule dénonciation, Dieu merci! C'est un fantastique livre d'aventures qui redonne courage et fait se sentir à nouveau enfant, innocent et courageux !

Neodyme a dit…

cher Poussière d'étoile, pour répondre à votre question: "Que me conseillez-vous de lire pour en savoir un peu plus sur le sujet de la gnose? "

je vous conseille de commencer par l'ouvrage "La Gnose éternelle" du P. Humbert Cornélis, aux éditions Fayard, qui donne un aperçu historique sur la question.

Anonyme a dit…

Merci beaucoup dame Néo pour votre précieux renseignement...
Je vais lire ce fameux livre...mais avant tout il faut que je le trouve... pas évident....

Bien à vous

Anonyme a dit…

Chère Néo,

Ce que vous écrivez est juste, et, en plus, en pleine "actualité". Voyez cette vidéo de Barack Obama qui se perd les pédales en désignant sa foi chrétienne... et sa foi musulmane. Il y a de quoi s'arracher les cheveux devant tant de religions "interchangeables" comme vous l'écrivez:

http://www.youtube.com/watch?v=MGMQ5DpVVTM

Anonyme a dit…

Bravo Néo pour ce texte qui met des mots clairs sur une tentation qui nous guette. A savoir que cette tendance est étroitement liée à la notion, aujourd'hui détournée, de "respect". Dire que notre religion est la vérité est considéré aujourd'hui comme une arrogance, un "manque de respect" envers autrui...et c'est malheureux.
Par contre, il faut être magnianime avec ceux qui pratiquent cette confusion (le mélange des religions), car quand on regarde les exigences demandées à un musulman et à un chrétien... on peut être surpris de la ressemblance. La communauté de vertus peut expliquer ces amalgames.

A vous lire très bientot Neodyme, non sans impatience !! Merci!

Duck

Neodyme a dit…

Heureuse d'avoir de vos nouvelles, cher Duck...

Merci pour votre message