15/03/2008

Conte du Moyen Age: "Les desseins de Dieu"

Sandro Botticelli, Holy Trinity (detail)
1491-93


Voici, chers lecteurs, un fort beau conte du Moyen Age :


" Il était une fois un ermite. Un jour, il était assis dans son ermitage et aperçut un berger endormi au milieu de son troupeau. Tandis que le garçon sommeillait, un voleur s’approcha et lui prit tous ses moutons. Puis arriva le propriétaire du troupeau. Quand il ne le trouva point, il accusa le berger de l’avoir volé et le tua sur-le-champ.

En assistant à cela, l’ermite se dit : « Que vaut donc la parole de Dieu qui affirme qu’Il est un juge équitable, puissant et indulgent ? Il n’est point équitable celui qui permet à l’innocent d’être tué et au coupable d’échapper à sa punition. Cela vaut-il la peine que je demeure dans ma retraite ? » Et il décida aussitôt de se rendre à la ville la plus proche afin d’y séjourner désormais. Il se dit : « Je protégerai aussi bien mon âme en vivant comme n’importe qui ».

Mais Dieu ne l’entendait pas ainsi et lui envoya un ange d’humaine apparence l’assister.

L’ange le salua et dit : « Je suis ton ange gardien, envoyé du ciel pour t’accompagner dans le monde où nous irons ensemble. »

L’ermite répliqua : « Je n’ai rien contre ».

Et ils s’en allèrent. Ils arrivèrent un soir chez un seigneur à qui ils demandèrent l’hospitalité. Le chevalier les accueillit aimablement et les invita à sa table. Ce seigneur avait un fils unique qu’il chérissait par-dessus tout. Son plus grand plaisir était de le voir trottiner.

A la fin du repas, deux couches furent préparées. Une pour l’ange et une pour l’ermite. A minuit, l’ange se leva, se rendit dans la chambre où dormait l’enfant et le tua.

Quand l’ermite s’aperçut de la chose, il se dit : « Il ne s’agit pas d’un ange mais plutôt d’un démon. Son acte immonde le prouve. Notre hôte nous a donné par charité tout ce dont nous avions besoin et mon compagnon, en retour, assassine son fils innocent ». Mais il ne fit pas ces réflexions à haute voix.

Le lendemain, l’ange et l’ermite s’en allèrent et arrivèrent bientôt chez un autre seigneur. Ils lui demandèrent aussi l’hospitalité et il la leur accorda en les recevant somptueusement. Ce chevalier avait une coupe d’or qu’il appréciait beaucoup et dans laquelle il buvait entre chaque mets. Après le repas, les voyageurs gagnèrent la couche déjà prête. Mais à minuit, l’ange se leva de nouveau, vola la coupe et la cacha dans sa besace.

En voyant cela, l’ermite fut stupéfait et songea : « Seigneur ! Quel compagnon ai-je là ? Cet homme noble nous a nourris de son mieux et lui, en retour, lui vole sa coupe ». Mais encore une fois, il ne dit rien.

Au matin, ils se levèrent et poursuivirent leur route. Ils arrivèrent à un pont qui traversait une profonde rivière. Sur ce pont, ils rencontrèrent un pauvre gueux.

L’ange lui dit : « Sois bon et dis-nous comment nous rendre à la ville ».

Le gueux se retourna afin de leur indiquer la direction à prendre. Ce faisant il tourna le dos à l’ange qui le poussa à l’épaule et le précipita à la rivière où le malheureux se noya.

Pietro Cavallini, Le Jugement dernier


En assistant à cela, l’ermite, bouleversé, se signa en songeant : « Il s’agit bien d’un démon. Ce pauvre hère nous indiquait la route et il l’a tué. » Mais cette fois encore, il ne dit rien à haute voix.

Ils traversèrent le pont et arrivèrent le soir chez un homme riche. Ils lui demandèrent l’hospitalité, mais l’homme la leur refusa. Cependant l’ange assista : « Nous ne cherchons qu’un abri contre les bêtes sauvages ».

Le riche répliqua : « Sous cet auvent, il y a la litière des cochons. Vous pourrez vous y reposer. »

Ils se couchèrent dans la porcherie et souffrirent toute la nuit du froid et de l’inconfort.

Quand ils se levèrent au matin, ils cherchèrent leur hôte et l’ange lui dit : « Ami, tu nous a comblés de tes bienfaits. Tu recevras pour cela une riche récompense. » Et il sortit la coupe qu’il avait dérobé au seigneur pour la donner à son hôte.

Lorsque l’ermite vit cela, il songea : « C’est vraiment le diable et je ne veux plus rester avec lui. Le seigneur à qui appartient cette coupe nous a généreusement reçus et lui, en retour, l’a volé. Celui-ci nous a à peine acceptés dans sa porcherie et il lui donne ce précieux calice ».

Il n’y tint plus et déclara : « Par Dieu, je ne supporte plus de voir tes méfaits ! »

Bernardino Luini, Anges


L’ange répondit : « Ecoute tout d’abord, tu comprendras ensuite. Quand tu as vu de ton ermitage qu’on tuait le berger, scandalisé, tu es parti. Ce berger avait commis un péché sans mauvaise intention et s’était repenti. C’est pourquoi Dieu, en pénitence, lui a envoyé la mort. A présent, son âme bienheureuse est au ciel. Ensuite, nous sommes allés chez le premier seigneur. Il nous a généreusement reçus et moi, à minuit, j’ai tué son fils. Sache, mon cher, que ce seigneur était jadis bon et que chaque fois qu’il gagnait quelque argent, il le partageait toujours avec d’autres charitablement. Mais quand son fils est né, il l’aimait tellement qu’il en oublia de faire l’aumône et de continuer à remplir de bonnes actions. Il ne songeait plus qu’à économiser afin, qu’après sa mort, son fils soit le plus riche. J’ai donc jugé bon de tuer cet enfant et d’envoyer son âme à Dieu. A présent, son père est redevenu bon comme auparavant. Puis j’ai croisé ce gueux sur le pont et je l’ai jeté à l’eau. Sache que son âme était vraiment sans tache. Mais si je l’avais laissé poursuivre son chemin, il aurait tué un homme et commis un péché mortel. En cela il aurait causé sa propre perte et aurait été contraint de mener une vie hasardeuse. Je préfère l’avoir tué. Dieu a pris son âme. Ensemble, nous l’avons préservé du péché. J’ai volé la coupe du second seigneur. Sache, qu’il aurait vécu sobre et bon s’il ne l’avait pas possédée. A cause d’elle, il s’enivrait chaque jour. Lorsque je m’en suis aperçu, je lui ai pris cette coupe et à présent, il est de nouveau plein de tempérance. Ensuite, j’ai offert cette coupe à celui qui nous a hébergé parmi ses porcs. Cela a vraiment un sens. Dieu est si équitable qu’il ne laisse jamais un bienfait sans récompense ni un péché sans punition. Il possède cette coupe d’or, mais son âme ira en Enfer après sa mort.

En entendant cela, l’ermite tomba aux pieds de l’ange et lui demanda son pardon. L’envoyé de Dieu répondit : « Je te l’accorde, mais retourne dans ta retraite et, la prochaine fois, ne te mêle pas des desseins de Dieu ».

Là-dessus, l’ermite rendit grâce à Dieu et retourna dans son ermitage où il vécut saintement le reste de sa vie. A la fin de celle-ci, équitablement, il rendit son âme au Créateur."



Extrait de Contes du Moyen Âge, Gründ,1982. Raconté par Karel Dvorak, p.86-90.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Hum, ça me rappelle quelque chose... :)

Anonyme a dit…

Merci Neo pour ce conte. On croit que c'est un méchant mais en fait ce n'en est pas un !
J'ai eu un peu peur mais la fin est formidable et rappelle la vérité à qui veut l'entendre...
Pierre Paul Jacques

Neodyme a dit…

Hector, c'est formidable que vous connaissiez ce conte.Moi qui le croyais inconnu au bataillon! Anonyme, je suis ravie que ce récit touche votre cœur.

Anonyme a dit…

Félicitation chère Néodyme pour votre joli conte du Moyen- Age.

bisous

Neodyme a dit…

Merci , chère amie ! :-D