09/03/2010

Immortel Louis de Funès

Un concentré de Louis de Funès en vidéo!

Dans "Ne parlez pas trop de moi les enfants", paru en 2005 aux éditions Le Cherche-Midi, les deux fils de Louis de Funès, Patrick (radiologue) et Olivier (pilote de ligne) nous racontent la vie avec leur père, "pleine d'impondérables et de charmes". Ils ont écrit ce livre pour tenter de répondre aux multiples questions du public: "Comment faisait-il pour trouver tout cela?", 'il paraît qu'il était extrêmement nerveux", "était-il très sévère avec vous?", etc. Ses fils nous montrent "qui se cache" derrière l'acteur, et laissent entrevoir que ce petit homme était, en réalité, un très grand monsieur.


La famille au complet assiste Louis de Funès à sa remise de la Légion d'Honneur avec, de gauche à droite:
Jeanne, Olivier, Louis et Patrick



Louis de Funès est né en 1914, d'une famille d'origine castillane. Sa mère, racontait Louis de Funès, fut son premier professeur de comédie: elle avait cela dans le sang, comme lui. Jeune, il mène une vie précaire et joue des sketches au théâtre, lorsqu'il n'exerce pas ses talents de pianiste dans un bar. Sacha Guitry repère son talent en le voyant dans une adaptation du Journal de Jules Renard. Louis devient plus célèbre avec le film Ni vu ni connu (1957) dans lequel son personnage est affublé d'un chien nommé "Fous le camp". La réplique "Viens ici, Fous-le-camp", est restée célèbre... Mais c'est avec la pièce Oscar, que Louis de Funès obtient la consécration. Il restait humble, persuadé que tout pouvait changer du jour au lendemain.




C'est la raison pour laquelle sa famille lui tient tant à cœur. Parallèlement à son métier de comédien, il mène une vie paisible. C'est avec sa femme Jeanne, à laquelle il est très uni, qu'il a deux fils, Patrick et Olivier. Louis de Funès se montre attentif à l'éducation de ses enfants. En bon père il n'hésite pas à retirer son fils d'une école où l'on a appris à ce dernier que Louis XVI était un traître qui voulait vendre la France à l'Autriche! (1) Olivier, lui, partage une double passion pour l'aviation et le cinéma. Dans ses jeunes années, il suit son père sur les lieux de tournage, avant de s'essayer lui-même, avec succès, à la comédie. Mais finalement, la passion de l'aviation l'emportera. Louis de Funès encouragea toujours ses fils à suivre leur voie. Il ne pouvait se passer de l'appui de sa femme, et demanda même à celle-ci de se constituer son "impresario" à partir de 1957. Elle prit son rôle au sérieux et s'empressa de lui trouver sa "femme" à l'écran, jugeant que les partenaires qu'on lui donnait au théâtre étaient trop grosses et dévalorisaient la performance de son époux. C'est en se liant d'amitié avec Claude Gensac (Edmée!), rencontrée en 1952, que Jeanne déclare à son mari: "Ce sera elle, ta femme!" A compter de 1967, Claude Gensac reste effectivement la partenaire de Louis dans la majorité de ses films...


Louis de Funès et Claude Gensac, une complicité à la ville comme à l'écran

Louis était un homme simple: en vacances à Deauville, où il rencontra Fernand Raynaud (et rivalisa avec lui de pitreries!), il privilégiait les lieux de sortie discrets, pour fréquenter des gens simples, comme lui. Beaucoup plus tard, sur le tournage de la Soupe aux Choux (1981), il sympathisa avec les paysans du coin car, pour lui, rien n'était plus précieux que l'authenticité. Lorsqu'il devait rencontrer des gens "puissants", des "grandes personnes", il se plaignait à sa famille: "Il va falloir que je m'habille en singe ce soir".


Sur le tournage de la Soupe aux Choux en 1981, avec les gens du coin.
Photo de la collection Jeanne de Funès in"Louis de Funès. Ne parlez pas trop de moi les enfants", par Patrick et Louis de Funès, p.243.


C'étaient les casinos, les restaurants huppés qui offraient à Louis de Funès le spectacle le plus précieux: les gens. En bon comédien, il savait en observer les moindres détails, s'inspirait aussi des situations susceptibles d'être réutilisées à l'écran. Le Grand Restaurant, film pour lequel il a beaucoup travaillé, illustre la fausseté des relations, entre serveurs serviles, chef tyrannique et clients à flatter (un extrait en vidéo ci-dessous):

"Il est pas là l'patron?" - Une scène du Grand Restaurant



Sur les tournages, Louis de Funès a besoin de vie et de réconfort, mais surtout, d'une bonne entente avec son partenaire. Il lui faut un public, étant donné son expérience théâtrale. Ponctuel et poli sur les lieux de tournage, il prend le temps de saluer chacun des techniciens, au contraire des certaines stars actuelles, qui interdisent aux membres de l'équipe de les regarder dans les yeux (cf. Tom Cruise dans Eyes wide shut) !... Louis se montre généreux avec les acteurs, se souciant de leurs difficultés. Au faîte de sa gloire sur le tournage de L'Aile ou la cuisse, il insiste pour que le nom de son partenaire, Coluche (alors peu connu), figure à égalité avec le sien au générique, et sur l'affiche. Louis de Funès trouvait que Coluche avait beaucoup de présence: "La relève est assurée! Quel phénomène! Ce sera un grand", prédisait-il. La délicatesse et la bonté dont il faisait preuve fait encore l'admiration du producteur Christian Fechner, qui l'évoque dans certaines interviews. Louis s'entendait très bien avec la plupart de ses partenaires de films: avec Bourvil, l'hilarité était au rendez-vous à chaque rencontre. Il appréciait Galabru, Claude Gensac, Max Montavon, à qui il faisait donner des petits rôles dans presque tous ses films. Annie Girardot, la femme de Louis de Funès dans "La Zizanie", avait de fréquentes crises de fou rire sur le tournage. Lorsque Louis décidait de se montrer "méchant", ce ne l'était jamais vraiment. Ainsi, tout en jouant avec Pierre Brasseur dans Ornifle ou le courant de l'air de Jean Anouilh (1955), Louis de Funès refusait de sortir avec son partenaire après les représentations parce que ce dernier avait la tendance à faire la tournée des bistrots. Pierre Brasseur lui lâcha un soir: "Alors, Bobonne t'attend à la maison?" Le lendemain, pour sa vengeance, Louis ne trouva rien de mieux à faire que de lui provoquer trois fous rire sur scène, en improvisant des situations ! Pierre Brasseur s'en amusa et ils ne se disputèrent plus... Yves Montand (La folie des grandeurs) pour lequel Louis de Funès éprouvait une estime réciproque, l'irritait par son militantisme grandiloquent pour les thèses socialo-communistes: "Le pire, c'est qu'il est sincère, il y croit, à ces histoires, déplorait Louis de Funès. C'est vraiment casse-bonbons". Que dirait notre pauvre Louis de la brochette d'artistes politiciens comme Cali, Piccoli, Mano Solo, Weber...? Annonçant la disparition des grands félins, Louis de Funes prédisait la prolifération d'une autre espèce de bêtes sauvages: "Vous verrez, dans vingt ans, il ne restera plus que 50 couples de tigres royaux. Mais les hommes politiques seront passés de 20 000 à 2 millions". Sur le métier d'acteur, Olivier de Funès raconte avec bonheur ses souvenirs de tournages avec son père , et les "trucs"que ce dernier lui donnait pour parvenir à balancer une réplique banale sans sonner faux, à prendre le ton juste, etc.


Gérard Oury et Louis de Funès

La personnalité du "show-bizz" avec laquelle Louis de Funès se sentait le plus d'affinités était Gérard Oury (réalisateur de La Grande vadrouille, du Corniaud, des Aventures de Rabbi Jacob et de La Folie des grandeurs). Celui-ci était un gentleman, ainsi qu'un excellent conseiller en matière de choix cinématographiques. Il protégeait Louis dans un monde de requins. Il le conseillait si bien que Louis de Funès l'inondait d'appels téléphoniques pour des questions qui n'avaient rien à voir avec ses compétences : un nouveau lave-linge, les études de médecine, etc. Un jour, pour rire, son fils Patrick lui dit: "Dis donc papa, je trouve que notre papier toilette n'est pas de très bonne qualité. Tu devrais peut-être demander à Gérard sa marque préférée". Rien à faire! La mère de Gérard Oury, Marcelle, appelait à son tour et la même conversation reprenait. La vie de Louis avec sa famille et ses amis était précieuse: plus il avait de succès, plus la prison dorée se resserrait autour de lui. Un jour, il aperçut un supermarché dans un de ses feuilletons préférés (parmi lesquels Columbo), et dit à sa femme: "C'est étonnant ces rayons bourrés de marchandises! Et ces petites poussettes dans lesquelles ont met ses courses, ça a l'air pratique. C'est toujours comme ça?" A cette réflexion, sa femme mesura l'ampleur de la situation ! En effet, Louis de Funès ne pouvait désormais plus faire un pas dans la rue sans être poursuivi par ses fans hurlant(e)s, et plus encore harcelé par les paparazzis, à l'affût de n'importe quel geste de la part du comédien.

La fin de la Folie des grandeurs, de Gérard Oury
Avec son valet aux barbaresques!



Au terme de leur biographie, les fils de Louis s'interrogent sur les raisons de la pérennité du succès de leur père, et plus particulièrement auprès des enfants. Selon Patrick de Funès, c'est peut-être parce que "tout le monde ressent, même sans en avoir conscience, l'influence des mêmes gênes ancestraux enfouis au plus profond de soi". Il est vrai que Louis de Funès effectue le plus souvent le travail d'un caricaturiste: il insiste sur les penchants les plus mauvais (colère, impatience, méchanceté) de l'homme, universels comme la bêtise. Il joue avec brio les rôles de tyran en puissance, faible avec les forts ; et fort, voire implacable, avec les faibles! C'est parce qu'il sait nous dépeindre comme des êtres à la fois haïssables et touchants qu'il reste dans nos cœurs comme l'un des plus grands acteurs qui soit. Son jeu, ses choix d'acteur, sa créativité sans limite, étaient liés à un choix moral (catharsis d'Aristote): faire rire pour mieux rendre le vice haïssable, car ridicule!

Pour finir en beauté, nous évoquerons la passion de Louis de Funès pour l'horticulture. C'est en rachetant le château délabré de la famille de sa femme à Clermont-sur-Loire, qu'il put mettre à profit sa passion de toujours : les fleurs, les légumes, les potagers, la nature. On a dit de lui qu'il était un pionnier de l'écologie. Parallèlement à son amour de la nature et des animaux, il disait joliment: "L'ouverture de la chasse ! On devrait appeler ça l'ouverture de la connerie". Jusque dans l'exposition de ses convictions , il laissait réapparaître sa "mission" de comédien:

"Je ne veux pas de ces saloperies d'engrais chimiques. Bientôt, il va falloir que les poireaux poussent en trois jours, et mesurent un mètre de haut ! Les coccinelles que je ramasse dans les parcs avalent tous les pucerons, c'est parfait. Pas besoin d'insecticides, quelle horreur, ça empoisonne tous les oiseaux! (...) A force de tout détruire, un jour, on verra des musées où seront empaillés des écureuils, des hirondelles, des bergeronnettes... plein d'espèces communes qui auront disparu. L'homme ne peut pas s'empêcher de tuer, mes enfants. Il faudrait que je joue le rôle d'un abruti qui tire sur tout ce qu'il voit. Pan! un faisan tombera, pan! un autre oiseau. Le bonhomme s'extasierait sur la beauté des oiseaux, et en tuerait d'autres pour comparer les couleurs. Il ne manquerait plus que des publicités pour des marques de fusils, avec comme slogan: "Perdrix, canards... Tremblez!"



Louis de Funès en son potager... Extrait d'une émission de Michel Drucker consacré à Louis de Funès


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(1)  Anecdote pour couronner le portrait de Louis: il était fidèle de l'église st Nicolas du Chardonnet, du temps de Mgr Lefebvre. De quoi hérisser le poil de tout progressiste amateur de particule!