29/06/2008

Regards divergents sur l'enfant: petit aperçu historique


Dans le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, on sélectionne les bébés, on les classe en futures professions. Les êtres humains appartiennent aux groupes Alphas ou Epsilons selon le traitement chimique qu’ils ont reçu lorsqu'ils étaient embryons ou nourrissons. On leur donne ces traitements en fonction du groupe dans lequel on les juge les plus aptes à (sur-) vivre. Ici, rien que du cynisme, ne laissant aucune place à la liberté. Certaines âmes s’alarment à l’idée que cette image d’une société future puisse être le produit d’une évolution inéluctable. Et pourtant il semble bien que le traitement des êtres humains en tant qu'"objets" soit une régression, ne différant en rien de la conscience médicale païenne. Selon Hippocrate, il était naturel de savoir « quels enfants il convient d’élever ». Soranos d’Ephèse définissait la puériculture ainsi : c’est l’art de décider « quels sont les nouveaux-nés qui méritent qu’on les élève ». Régine Pernoud (dans La femme au temps des cathédrales) commente :

« Cette impitoyable sélection ne caractérise pas seulement une attitude scientifique, mais également celle d’une société tout entière. En effet, Cicéron, que l’on ne peut accuser d’inhumanité, pensait que la mort d’un enfant se supporte aequo animo (d’une âme égale). Sénèque jugeait raisonnable la noyade des enfants débiles et faibles. Tacite qualifie d’excentrique la coutume des juifs à ne vouloir supprimer aucun nourrisson ; et quand Justin évoque le respect des chrétiens pour la vie de l’enfant il précise : « fût-il nouveau-né».

Voilà le degré d’amour que nos sages Anciens avaient pour les bébés. Quant à l’avortement, il était pratique courante, comme on le sait. Saint Basile s’insurgeait que l’on osât se demander si le fœtus était formé ou non en cas d’avortement: pour lui comme pour les chrétiens, l’enfant à naître, comme l'enfant nouveau-né, était une personne, un être humain.

Au début de notre ère donc, le refus chrétien de l’infanticide et de l’avortement s’oppose à la barbarie païenne (1) et s’impose comme une nouveauté s'élargissant à bien des domaines. On respecte désormais femme et enfant, alors que la femme n'était qu’un objet dans le droit romain (elle appartenait au père ou au mari), et que le père, à la naissance de son enfant, décidait, par un geste, de sa vie ou de sa mort (le droit de vie et de mort est retiré au père, par la loi civile, en 390 après J.-C). Le refus de cette barbarie s’inscrit dans le contexte, plus général, de respect de la vie et du Créateur. La femme et l'enfant deviennent des personnes, reconnues à l'égal des hommes, comme des créatures d'un Dieu d'amour; la femme veuve, archétype de l'être abandonné, passe d'un statut de misère totale à celui de première assistée (cf. Actes des apôtres). Une nouvelle ère commence, véritablement libre. L'esclavage, la servitude, par opposition, c'est la vie sans Dieu, les passions démultipliées tout comme le droit du plus fort: de nos jours, croit-on vraiment avoir "évolué" en "humanité"? Non sans doute, car, comme nous pouvons le vérifier , il n'y a plus de respect pour la créature, dès qu'on ne révère plus son Créateur.

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(1) un exemple de pensée « barbare » ou néo-païenne si l'on veut : « La chose la plus clémente qu’une famille puisse faire à l’un de ses enfants, c’est de le tuer » (Margaret Sanger,The Woman Rebel, volume I, n°1). Et, pour bien montrer que cette conception moderne s'oppose intentionnellement au christianisme, citons une autre phrase de cette même Margaret Sanger, pionnière du planning familial: « Les services de maternité pour les femmes sont des taudis nuisibles à la société et à la race. La charité ne fera que prolonger la misère des inaptes »... Petit "progrès" cependant, de la barbarie contemporaine sur la barbarie d'autrefois : dans le monde antique, on tuait invariablement tous les êtes difformes tout comme aujourd'hui, où l'on peut aussi éliminer l'enfant handicapé. Mais il y a un progrès au niveau technique : l'élimination est rendue possible désormais dans le ventre de la mère. Alors, la régression païenne n'a d'autre définition que d'être " l'éternel retour" de l'homme sans Dieu.

13/06/2008

"Un Amour à New York" : le Destin décide pour vous !




Le résumé:

« A l'approche des fêtes de fin d'année, en 1990, Jonathan Trager croise dans la foule new-yorkaise Sara, une ravissante jeune femme. C'est le coup de foudre. Bien que tous deux soient engagés dans une autre relation, Jonathan et Sara passent la nuit à errer ensemble dans Manhattan. Mais la nuit touche à sa fin et les voilà contraints de prendre la décision de se revoir au non. Quand Jonathan, sous le charme, propose un échange de numéros de téléphone, Sara se dérobe pour suggérer de laisser le destin décider. S'ils sont faits l'un pour l'autre, dit-elle, ils trouveront bien le moyen de se revoir.

Dix ans plus tard, les deux jeunes gens sont sur le point de se marier avec quelqu'un d'autre. Cette fois, le moment est venu pour eux de pousser la curiosité plus loin. Se rappelant de cette rencontre magique, ils décident de se retrouver avec l'aide de leurs meilleurs amis. »


Un extrait (en anglais) dans lequel, lors de leur première rencontre, les deux tourtereaux prennent deux ascenseurs séparément. Sara lui dit: "si nous choisissons tous les deux le même étage, nous sommes destinés l'un pour l'autre" :



J’ai regardé ce film avec intérêt; les acteurs sont bons et l'histoire est charmante. C’est le principe même qui accroche : Sara et Jonathan, après s’être brièvement rencontrés (coup de foudre) se sont perdus de vue, décidant que le destin déciderait pour eux; et quelques années plus tard, ils sont désormais sur le point de se marier... avec quelqu’un d’autre. C’est là le point crucial de l’histoire. Tous les ingrédients de l'amour-passion sont réunis : au moment même de se marier sagement, ils repensent l’un à l’autre... Eternel thème de l’amour, qui par définition est adultère, interdit : ainsi il faut bien qu'il y ait un obstacle pour avoir envie de le franchir. Jonathan repense à Sara ; Sara repense à Jonhatan. L'Amour semble le maître, et des dizaines de signes du destin émaillés deçi-delà sont les messagers de l'Amour. On compatit à l’état angoissé de nos héros, haletant d’un bout à l’autre des Etats-Unis, dans la quête de leur Graal perdu, aiguillonnés par des dizaines d'indices plus que troublants. Le signe du destin persuade l’un que l’autre pense encore à lui, des années plus tard : tel ce numéro de téléphone inscrit par Jonhatan sur un billet, billet qui se retrouve dans un avion, devant les yeux de Sara, ébahie. Et ainsi de suite. Le petit signe décide de tout.

En version originale, le titre de ce film est « Serendipity », qui signifie en anglais : « heureux hasard », destin. Les deux jeunes gens ne sont en rien responsables de ces signes qu’ils reçoivent : c’est le destin qui les réunit l’un à l’autre, qui les fait se rechercher ardemment.


Tristan et Iseut buvant le philtre du Destin.


Qu’est-ce donc que ce « heureux hasard », ces milliers de petits signes révélateurs ? La magie persuade, elle ne raisonne pas. Le Destin est plus évident que Dieu même : toutes les "coïncidences" témoignent en sa faveur ; le Destin marche seul : on ne doute même plus de son existence. Dans le mythe de Tristan et Iseut, le philtre d’amour (bu par erreur dans certaines versions) est un alibi idéal pour disculper les amants de leur amour adultère. Le philtre donne son absolution aux amants. Ceux-ci ne sont en rien responsables de mentir au Roi Marc, accessoirement époux d'Iseut. Traditionnellement, le philtre (instrument du Destin) est l’élément qui déclenche la passion amoureuse : une passion qui mène invariablement à la mort et à la destruction. Dans notre monde moderne, et a fortiori dans ce film, mieux vaut conserver le bon côté de la médaille, l’aspect heureux de la passion... On garde le destin, on jette loin de nous le malheur ! Le beurre, et l'argent du beurre: la passion, et le bonheur.

On ne dressera pas ici la liste des invraisemblances du film parce que, comme on dit, « c’est un film ». Ce qui nous intéresse en revanche, c’est la question suivante: sans ces signes du destin, Jonathan et Sara seraient-ils partis à la recherche l’un de l’autre ? sans recevoir la caution d’une instance magique supérieure, auraient-ils sacrifié leurs statuts de futurs mariés ? Le Destin intervient pour tout régulariser. Dans tous les petits signes, ne trouvons-nous pas confirmation de ce que nous cherchons ? si nous n’avions pas cherché ces signes, les aurions-nous seulement aperçus ? Car il faut bien le préciser, les deux jeunes gens, lors de leur première rencontre, ne cessent de semer volontairement les signes qui les réuniront, s'ils sont effectivement faits l'un pour l'autre. Ainsi, on veut bien aider le Destin, mais c'est le Destin qui en jugera en dernière instance, car l'Homme est un roseau trop fragile pour décider de sa propre vie, de ses propres choix sentimentaux.

En somme, pour que l’amour soit jugé véritable, il faut une instance supérieure, équivalente à Dieu. Comme l'amour n’est pas ici le fruit de la connaissance de l'autre, ni même d’un engagement, mais plutôt un véritable coup de foudre, il est nécessaire que le Destin donne son "coup de main", cautionnant ce qui serait, en toute autre circonstance, déraisonnable et éphémère. Peu importe si la personne élue est décevante, inadéquate –on ne la connaît pas après une seule soirée !- le Destin a parlé, c’est le signe que Sara pourra rester avec Jonathan toute la vie : rien n’est à remettre en question, exceptés les deux mariages qui étaient prévus, et qui devaient aussi lier deux personnes pour toute la vie. Et puis, avoir le Destin dans sa poche évite d'avoir à se poser la question: est-ce la bonne personne?

Cela dit, "Un amour à New York" est un bon film qui se laisse regarder !