17/11/2007

Dr House, drôle de monstre


Vous connaissez peut-être la série Dr House et son personnage du même nom ? Non ? Eh bien, sans doute est-ce l’occasion d’apprendre à le connaître. Comme avec mon billet sur Saturnin dont je reprends ici la rigoureuse et scientifique méthode, je m’en vais portraiturer cet antihéros afin de vous éclairer de ma lampe torche sur les raisons de son succès fou.

Dr House est mal élevé, misogyne, drogué, grossier avec ses patients, insolent avec sa patronne, divorcé et n'a qu'un seul ami. Pour équilibrer la balance, c'est un médecin de génie. Or, il est bien humain, car il souffre : il a mal à la jambe et s’appuie sur une canne pour marcher. Sa méchanceté s’explique. Sous cet aspect, nous pouvons le comprendre et le supporter. En revanche, House ne deviendra jamais un héros, parce que son comportement dépasse les bornes de l'excusable: en effet, celui-ci a le toupet de ne jamais tomber amoureux. Comment des fans qui regardent des séries pour se piquer d’une dose quotidienne de violence, d’amour et de sexe, pourraient-ils supporter ces joutes verbales qui, à elles seules, tissent l’action et le dénouement d’un épisode (il s’agit à chaque épisode d’une enquête sur le diagnostic d’une maladie) ?

Anti-héros, pourtant révéré par ses « fans »... comment cette contradiction est-elle possible, demandez-vous? Eh bien, peut-être ne s'agit-il que d'un paradoxe! Gregory House est doté d’un esprit aussi vif que celui d’Oscar Wilde. Ses "vannes", aussi méchantes soient-elles, viennent à point nommé nous informer de tout ce qu’il ne faut pas dire, faire ni penser dans une société soucieuse du respect de tout comportement dangereux pour la santé. Paradoxalement la lucidité de House, qui n'est pas drôle, fait rire. Notre hilarité obéit sans doute, comme on dit, au mécanisme de « renversement des valeurs ». Si l’on rit avec lui, n'est-ce pas parce que House dit crûment ce que nous pensons sans (avoir le droit de) l’exprimer? Parce qu'il ridiculise ce qui est parfait?


Avant la prise de médicaments


Son humour passe sans danger : House est athée, fainéant, porte des baskets neuves, boude la cravate... Bref, c'est l'idéal de l’hominidé moderne, darwinien dans sa façon de traiter les patients comme des chiens, libéré, libre dans sa tête. Toutes les conditions d'impartialité sont réunies pour qu'il profère certaines vérités de façon crédible. Mais ses blagues sur des sujets tabou, pourquoi nous font-elles rire ? ... Au temps où le blasphème était puni de mort, il y avait le sacré: par définition le sacré est ce à quoi on ne touche pas. Voilà ce qui rendait le blasphème et l’interdit d’autant plus attirants (pourquoi les mots moyenâgeux de sacrebleu, et sapristi nous sont-ils restés ?(1)). Or, qu'est-ce qui est tabou, de nos jours? Ce n'est pas le "religieux". De nous jours, le sacré subsiste, plus intouchable peut-être: politisé, il est descendu dans nos mœurs. Nos comportements personnels sont sacralisés, quels qu'ils soient. Ils sont sacrés puisqu'ils émanent de la source unique de liberté, multipliée à l'infini: l'individu souverain. Un joli rêve, pourtant conforté par la Loi et le Droit. Voilà précisément ce dont House se moque, jour après jour, quoi qu'il dise et fasse. Il n'est jamais tendre avec ses patients, ni avec les gens de manière générale. Mais il reste dans l’humour, et ne s’aventure pas sur un terrain polémique. Il peut ainsi proférer ses néo-blasphèmes, parce qu'il est infirme. Devant l’écran, nul doute que beaucoup de ses fans prennent des notes et compilent ses réparties; seulement les conditions dans lesquelles le fan pourrait à son tour faire revivre cet humour ne se produisent jamais –car tout le monde n’est pas un médecin de génie, ni ne possède cet esprit-, le fan est par conséquent condamné à répéter lesdites vannes devant son miroir!

A sa décharge, House n’a sans doute pas conscience de son ignominie, étant isolé et protégé du jugement de la société par sa canne misanthropique... laquelle canne le rend évidemment intouchable. Il a même sa place de parking handicapé grâce à cette canne; et il menace de ne plus travailler si on la lui ôte. S'il échappe à la condamnation, c’est parce qu’il est l'individu sacré dont émane une Vérité à laquelle tous, y compris nous, viennent se ressourcer. Sa canne, justement, n'évoque-t-elle pas le sceptre de la royauté? Certes, c'est un roi ridicule et mal élevé, poussant dans ses retranchements la logique de l'individu Souverain-Bien-Fin-ultime de lui-même...

La morale est sauve, Dr House est abject, trop asocial pour que l'on ait envie de l'imiter et donc de l'aimer. Mais n'est-ce pas cela qui est inquiétant, ce refus des scénaristes de nous attacher à lui? Car on l'aime davantage pour ses blagues que pour ses qualités humaines!... En fait, il ne s'agit pas de trancher sur le fait qu'il soit humain, trop humain, ou simplement inhumain. Ces deux assertions voilent la réalité. Plutôt que statuer de manière péremptoire, il faut lui donner la question:

Qu'est ce qui nous retient de déblatérer de telles blagues et d'adopter un tel comportement, si ce n'est le fait que nous ne sommes ni infirmes ni aussi intelligents?


(1) "Pourquoi les mots de sacrebleu, sapristi nous sont-ils restés ?" : ces mots sont les dérivations respectives de « sacré Dieu » et de « sacrisitie ». Des blasphèmes. Les êtres humains, malins, ont modifié un peu les mots pour rendre l'injure passe-muraille et passe-temps. C'est un peu la même chose, de nos jours, que la substitution de « mercredi » à "m***". Pourtant, ce dernier mot censuré pour la bienséance des enfants exprime un produit naturel à l'homme. Voilà comment l'on peut expliquer cette substitution d'un mot qui n'a rien de blasphématoire: la véritable substitution c'est l'exigence de propreté extérieure et d'amour de son propre corps qui a remplacé l'exigence de propreté intérieure (ou beauté intérieure, comme disent les méchants laiderons), celle-ci étant censée représenter celle-là! Ha! Ha! ha!